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ANTOINE MARCEL

UN MONDE SE LÈVE

Le court poème d’éveil,
son art et sa philosophie

 


UN MONDE SE LÈVE  / Antoine MARCEL

 

 

La poésie d’Extrême-Orient, et en particulier le haïku, est de plus en plus traduite en Occident où elle est appréciée et influence le travail d’écriture de nombreux poètes. Le haïku, surtout dans la forme qu’il a prise après Bashô, toute imprégnée de culture zen, et dont on a pu dire qu’il transmettait quelque chose de la nature d’une expérience de satori – un éveil devant le fait, qui est aussi ouverture de l’œil de bouddha – est, malgré tout, resté largement impensé. Car en cette percée qui a lieu dans le court poème, quelle est la part de magie appartenant à cet infime phénomène du monde naturel, la part de sapience de celui qui voit, la vertu du langage poétique ?
Le poète qui entend composer dans le fil de cette veine d’inspiration, le lecteur qui voudrait en comprendre plus avant la teneur, gagneraient certainement à en connaître plus profondément les origines et la nature. C’est ce que propose le texte qui suit.
Écrit au fil de la plume, indifférent à la fragmentation des savoirs, ce texte investigue la nature du court poème d’éveil, depuis les stances des patriarches du premier tch’an jusqu’aux oeuvres contemporaines inspirées du haïku, se référant sans cesse à la matrice poétique et la pensée des grands Tang, poètes laïcs et maîtres de Dharma. Sinologie, bouddhologie, sémiotique, ici, ne sont convoqués qu’au service d’une compréhension intime du contenu d’éveil des poèmes cités, appréhendés dans leur contexte, mais avant tout pour ce qu’ils ont à nous dire de poésie et d’intelligence du mystère du monde, dans leur actualité.

Une branche dépouillée de feuilles
Un corbeau perché sur la branche –
Ce soir d’automne

« Dans le corbeau solitaire perché sur la branche morte d’un arbre, il y a un grand Au-delà. », dit D.T. Suzuki dans ses Essais sur le Bouddhisme Zen. C’est ce grand Au-delà – déjà là dans le poème – que le présent ouvrage se propose de découvrir.

………..

Quand elle recourt au langage de la nature, la poésie d’Extrême-Orient semble nous parler directement : pins, bambous, oiseaux, montagnes, rivières, toutes les images de cette vie sauvage ou champêtre nous sont familières. Un enseignement philosophique évoquant l’apparition de la fleur de prunier sur un rameau encore givré au premier jour de printemps, sa fragrance dans la cour quadrangulaire, la contemplation de la chute des fleurs de cerisier au clair de lune – une coupe de saké vide à la main, nous devinons quel en sera l’enjeu : la réalisation intime du mystère de la vie et de son impermanence.
Les images du bouddhisme tch’an – zen au Japon – poétiques et au plus près de la vie quotidienne, nous sont plus proches que celles, indiennes, d’idoles aux bras multiples. Parce qu’elle est l’expression d’une expérience que nous pouvons ou aimerions partager, celle de la vie érémitique, de la marche sur des sentiers solitaires, du voyage par monts et par vaux, d’une vie au contact de forêts et torrents, la poésie taoïste et tch’an des Tang touche en nous une corde sensible.
Le haïku, en Occident, dès l’apparition des premières traductions de R.H. Blyth dans les années cinquante, a séduit ceux qui, après Rousseau et Thoreau, rêvaient d’une vie spirituelle auprès de la nature – une vie en poésie aussi – et en cherchaient le modèle en Extrême-Orient. On doit à Alan Watts et aux auteurs de la beat-generation qui l'ont cité et ont tenté de composer à sa manière, une première popularité du haïku. Gary Snyder, déjà, traduit Han Shan et développe à travers ses poèmes une vision inspirée des grands espaces américains. Il formule, parmi les premiers, la nécessité d’une attitude de respect et de révérence devant montagnes et rivières dont Watts dans ses écrits donne l’explication : la Nature n’est pas qu’un environnement, c’est nous-mêmes.
Cette vision de la nature qui est dans le même temps un éveil à la nature-propre en Extrême-Orient, il nous importe maintenant de comprendre comment elle procède et quelle en est la réelle signification. Car s’il est vrai qu’à la vue d’une fleur nous puissions comprendre le secret de la vie et de la mort, comment cela est-il possible ?

 



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